06/09/2023

Si le nombre d’agriculteurs « traditionnels » continue de diminuer en Belgique, on observe à Bruxelles et depuis une dizaine d’années un renouvellement du secteur agricole avec l’essor d’une agriculture urbaine (AU) proche du consommateur et soucieuse de l’environnement. Aujourd’hui, la Région dénombre une cinquantaine d’exploitations professionnelles dont près de 75 % sont portées par de jeunes agriculteurs non issus du milieu agricole, communément appelés les « NIMAculteurs ».  Quelles terres exploitent-ils, quelle stabilité pour le secteur, quels sont les enjeux mais aussi les freins et menaces à son développement ?

 

Nouveau souffle durable et résilient pour le secteur de l’agriculture

L’agriculture urbaine dans la Région bruxelloise est très variée, tant dans sa forme de production, ses modes de distribution ou ses types de support. Ainsi, du maraichage à la production de champignons, de la vente directe ou via des intermédiaires restaurateurs, d’une production en pleine terre ou hors sol, en intérieur ou à l’extérieur… la diversité de cette pratique agricole fait la force de l’agriculture urbaine, capable de s’adapter à tout type d’environnement.

On remarque que ces projets se résument rarement à une simple activité agricole. Ils ont souvent une dimension pédagogique ou sociale, comme La ferme urbaine, porté par l’asbl Le Début des Haricots à Neder-Over-Heembeek, Bel Akker porté par Atelier Groot Eiland - deux espaces d’insertion socioprofessionnelle par le maraichage. Ou encore les fermes pédagogiques au Parc Maximilien, à Jette… De fait, cette agriculture d’un nouveau genre est un outil de transition et d’accès à une alimentation locale et durable. L’AU peut même permettre, dans la mesure d’une pratique agroécologique, d’améliorer la qualité du sol en pleine terre et contribuer à la régénération des sols vivants.

On peut donc caractériser l’agriculture urbaine par 3 critères[1] : la localisation de la production par rapport à la ville, les fonctionnalités réciproques avec celle-ci (fonction nourricière) et son intégration dans la dynamique urbaine : santé, économie, interactions sociales, éducation, formation, loisirs, aménagements urbains et paysagers, environnement...

 

Un cadre juridique flou

Malgré son importance croissante, un certain flou juridique entoure encore cette pratique. L’agriculture urbaine n’est pas mentionnée dans les plans et règlements qui organisent les activités et l’aménagement du territoire, en particulier le Plan régional d’affectation du sol (PRAS) qui constitue le socle de la réglementation bruxelloise. Ce vide juridique permet, en quelque sorte, une certaine flexibilité dans les espaces d’implantation puisque l’activité productive est autorisée dans la majorité des zones du PRAS, bien que les superficies soient limitées selon les zonages. Ainsi, si l’on observe les projets existants :

  • Dans les zones agricoles du PRAS, naturellement dédiées à cette fonction et principalement situées à Neerpede, on retrouve plusieurs producteurs : par exemple la Smala Farming, ferme urbaine liée au restaurant Smala à Saint-Gilles, la tisanerie Hierba Buena, Fruit Time
  • En zone verte, destinées en priorité à la conservation du milieu naturel, se développent par exemple Ile de Garde Tisanerie à Jette, qui cultive une cinquantaine de plantes culinaires, aromatiques et médicinales, La fille des saisons à proximité du campus universitaire d’Anderlecht, produisant des légumes, fleurs comestibles et aromatiques, Les Garçons Maraichers qui produit sous serre une grande variété de tomates.
  • En zone constructible, la ferme aquaponique BIGH, a installé ses infrastructures en zone de forte mixité, sur les toits du site des Abattoirs d’Anderlecht. Le projet Bel Akker, se situe en partie en zone de forte mixité, en partie en zone d’habitation.

De fait, même si les surfaces de production les plus importantes sont situées dans le Pays de Neerpede, plus de ¾ des producteurs sont aujourd’hui localisés en dehors de ces espaces péri-urbains, partout dans la Région.

 

Du soutien pour pallier les difficultés du secteur

À Bruxelles comme dans les régions rurales, être agriculteur est un métier essentiel mais exigeant, et cette réalité n’est pas nouvelle. Dans une ville-région où l’espace est limité, les producteurs urbains font face à une série d’obstacles, parmi lesquels le manque d’espace et de capacités d’implantation. Ceci se révèle tant pour les projets de pleine terre que pour ceux qui s’installent en toiture. Le secteur agricole, comme d’autres fonctions dites fragiles, est sujet à la pression foncière et immobilière, encore et toujours en augmentation selon les dernières données du baromètre de l’immobilier de la Fédération Royale du Notariat belge[2]. Pour la culture hors sol, d’autres contraintes techniques s’ajoutent : portance et stabilité, accessibilité et acheminement des matières, accès et stockage de l’eau …

Conscientes des défis auxquels sont confrontés les producteurs urbains, les administrations unissent leurs efforts pour accompagner et soutenir l'agriculture urbaine : soutien à des acteurs de l’accompagnement spécialisés en AU (Terre-en-vue pour l’accès au foncier, Espace Test Agricole de Graines de Paysans, Fédération des professionnel∙le∙s de l’AU, Guichet d’Économie Locale spécialisé en AU, Facilitateur AU), réforme du bail à ferme, nouvelle ordonnance pour un financement plus structurel de l’AU, etc.

 

Deux chantiers à suivre

L'agriculture urbaine est en train de se forger une place dans le paysage bruxellois, devenant une composante essentielle du développement durable de la ville. Le tout s’inscrivant dans la continuité de ce qui a été amorcé dès 2016 dans la Région avec la stratégie Good Food. Si le secteur est plus mature, avec notamment des modèles économiques plus stables, cet équilibre est encore fragile et les questions de disponibilité d’espaces cultivables, techniquement accessibles et abordables sont toujours complexes.

Pour cette raison, il est important d’œuvrer à la réalisation d’un cadre règlementaire souple et adapté comme un des leviers pour soutenir les agriculteurs et le développement de ce jeune secteur dynamique. La révision du PRAS en est la prochaine étape : une consultation ouverte à tous démarre cet automne, sur base du travail de définition des constats, enjeux et pistes de travail avec les institutions régionales et une série d’acteurs de terrain.

En parallèle, un autre chantier a été initié sur la réforme du bail à ferme : un avant-projet d’ordonnance mieux adapté aux spécificités de l’agriculture bruxelloise est en cours de rédaction. Cela fera l’objet d’un prochain article dans cette newsletter.

Pour en savoir plus sur les règlementations territoriales en lien avec l’AU et les enjeux qui y sont liés :

 

[1] Paula Nahmias et Yvon Le Caro, « Pour une définition de l’agriculture urbaine : réciprocité fonctionnelle et diversité des formes spatiales », Environnement Urbain / Urban Environment [En ligne], Volume 6 | 2012, mis en ligne le 16 septembre 2012, consulté le 17 juillet 2023. URL : http://journals.openedition.org/eue/437

[2] Fednot, « Baromètre immobilier des notaires pour l'année 2022 », [En ligne], mis en ligne le 16 janvier 2023, consulté le 17 juillet 2023, https://www.notaire.be/nouveautes/detail/barometre-immobilier-comment-a-evolue-le-marche-en-2022

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