17/05/2023

Trop mûrs, trop petits, périmés, ou simplement pas du goût des consommateurs… Les invendus ont longtemps été boudés et considérés comme des produits sans grande valeur. Aujourd’hui, une révolution de l’anti-gaspi et des circuits courts est en marche : surplus et rebus alimentaires font naître de belles histoires entrepreneuriales, portées par la Stratégie Good Food 2.  

Et s’il existait une autre vie avant la poubelle ? Actuellement, on estime qu’à peine 11 % des produits alimentaires retirés des supermarchés belges sont revalorisés (étude Comeos de 2019). L’objectif est d’atteindre les 500 tonnes de surplus ou invendus alimentaires valorisés via les projets soutenus d’ici à 2030 (par rapport à 91 tonnes entre 2016 et 2020). La récupération de ces ressources encore consommables concerne l’ensemble des acteurs de la filière alimentaire. Les enjeux passent en particulier par l’adoption de pratiques favorisant la lutte contre le gaspillage et un changement de regard sur cette nourriture « déclassée ».

Amorcée en 2016 et reconduite jusqu’en 2030, la Stratégie Good Food 2 consacre l’un de ses 5 axes à « la réduction des pertes alimentaires et gaspillages alimentaires » via, notamment, la transformation des invendus et le soutien financier de projets de transformation et de jeunes pousses entrepreneuriales. « Good Food a été un accélérateur qui nous a permis de puiser l’inspiration pour développer un projet cohérent, en capitalisant sur nos atouts et en mutualisant nos installations, explique Catherine Bodson, fondatrice de la conserverie artisanale Pipaillon et lauréate 2022 de l’appel à projets BeCircularNos cibles (des producteurs et agriculteurs de Bruxelles et sa périphérie exclusivement) ont été clairement identifiées et notre offre formulée : leur permettre une diversification de revenus par la valorisation de leurs surplus de récoltes, et ce à une juste rémunération. »

 

Pouvoir tester son modèle économique

Lancer son entreprise représente un sacré pari, encore plus lorsque l’on choisit de baser son modèle économique sur des « fanes de carottes et des épluchures » ! Co-fondatrice du traiteur circulaire et solidaire Les Gastrosophes, Louise Martin Loustalot s’est lancée en 2016, en faisant la fin des marchés avec un groupe d’amis. Jeunes et bénévoles, la motivation ne va pas les quitter et Good Food sera le tout premier financeur de leur association. « En plus de nous avoir permis d’équiper la cuisine, cela nous a donné l’assurance nécessaire pour penser le projet à plus long terme, affûter nos missions et tester pour de vrai notre modèle économique », se souvient la jeune femme. La suite, un bâtiment mis à disposition par la Commune d’Anderlecht pour accueillir un laboratoire de transformation des invendus récupérés dans les magasins bio de Bruxelles, et une subvention BeCircular pour les premières embauches. Entre 2018 et 2022, Les Gastrosophes ont produit plus de 80 000 repas, dont 50 000 gratuits. En effet, une partie du montant des ventes du service traiteur conventionnel sont utilisés pour financer le traiteur social gratuit. Aujourd’hui, l’association finance ses salaires sur fonds propres et sert plus de 30 000 repas, ce qui représente 18 à 24 tonnes d’invendus recyclés tous les ans.

 

Faire le choix de la circularité

En soutenant financièrement des projets de transformation d’invendus, la Stratégie Good Food 2 participe directement à repenser notre économie et l’idéal de surproduction qui va avec. Dans la chaîne alimentaire, réduire le gaspillage à la source est une étape-clé vers plus de circularité. Au-delà de la rentabilité de l’entreprise, il faut également trouver un équilibre entre valeurs personnelles et réalité du terrain. C’est la question qu’a tranchée Louise Martin Loustalot (Les Gastrosophes) : la récupération d’invendus peut revenir « plus cher que d’acheter des fruits ou des légumes bon marché, mais nous avons fait le choix de faire assumer ce surcoût par la vente de services à des clients aisés (entreprises, administrations, particuliers), qui couvrent le coût de la récupération mais aussi la perte économique que représente le traiteur social gratuit. Et ça fonctionne ! »

Une fois la machine entrepreneuriale lancée, vient le temps de la transmission des savoir-faire et compétences acquises, tout en poussant encore plus loin la révolution de l’anti-gaspi et des circuits courts. Avec aujourd’hui un atelier opérationnel et un catalogue de recettes bien rempli, Catherine Bodson (Pipaillon) cherche à davantage étendre son réseau et « convaincre de nouveaux producteurs ». De son côté, Louise Martin Loustalot (Les Gastrosophes) rêve d’une « maison de la souveraineté alimentaire, regroupant production, animation, espaces de droit au répit, restaurant et transformation collective low tech. » Sauvés in extremis de la poubelle, invendus et surplus alimentaires n’ont décidément pas fini de faire parler d’eux… à table !

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