Soutenu par la Stratégie Good Food dont l’un des objectifs est « l’accès à une alimentation durable pour tous », le projet Erg à table réenchante la cantine de l’École de Recherche Graphique (Erg). Une fois par semaine minimum, des étudiants bénévoles passent derrière les fourneaux pour concocter un repas avec des produits frais, locaux et de qualité. Succès garanti pour des recettes abordables et qui peuvent facilement être refaites à la maison. Les élèves accèdent également à des formations sur l’alimentation durable, l’hygiène… de quoi faire changer leur regard sur la restauration collective. Rencontre avec Igor Liévin, coordinateur des cours d’Erg à table.
Qu’est-ce que le projet Erg à table ? Quand et comment est-il né ?
Il s’agit d’un projet de cuisine collective organisé par des étudiants, des enseignants et la direction de l'Erg, qui est né sur la base de deux constats. D’abord, la difficulté pour les étudiants pour trouver à proximité de l'école une alimentation saine, bio, de qualité, et à un prix abordable pour leur budget. Ensuite, l'envie de faire vivre le bar installé dans le hall de l'école, tout en poursuivant les différentes initiatives de cuisine lancées par les étudiants. Avec au minimum un repas par semaine proposé aux élèves, l'objectif est de leur donner la possibilité de mieux manger, favoriser une alimentation locale, et réduire la quantité de déchets alimentaires. Il s’agit aussi de rendre visible le travail bien souvent méconnu de la restauration collective. C’est pourquoi les étudiants qui participent au projet gèrent l’ensemble des aspects et mesures qu’impose une cuisine dans un établissement scolaire.
Quelles sont actuellement les problématiques de vos étudiants pour se nourrir correctement et accéder à une alimentation de qualité et à un prix juste ?
La précarité étudiante est un sujet très important, et ce encore plus depuis la crise sanitaire où nombre d'étudiants se sont par exemple retrouvés dans une situation difficile après avoir perdu leur job étudiant. L'augmentation des prix des matières premières de ces derniers mois contribue également à rendre l'accès à des produits sains et de qualité plus difficile. Nous pouvons dire que le quartier gentrifié où se situe notre école n’aide pas non plus à trouver un sandwich à un prix abordable. Lorsque nous cuisinons, nous sommes donc attentifs à donner la liste des ingrédients utilisés et combien ils coûtent, car l’idée c’est de pouvoir montrer qu'il est possible de refaire des recettes chez soi sans dépenser des fortunes.
Les étudiants sont-ils une génération plus attentive à ce qu’il y a dans leurs assiettes ?
Difficile à dire, mais ce qui est sûr, c’est que le climat de questionnement et de réflexion pluridisciplinaire omniprésent dans l'ensemble des actions menées à l’Erg joue beaucoup. Les nouvelles générations ont toujours porté des batailles socio-économiques nouvelles, et l’alimentation fait partie des enjeux de notre époque.
Pourquoi est-il important de sensibiliser les étudiants à la cuisine, et de leur donner accès à des produits frais, locaux et saisonniers ?
Dans le contexte socio-économique actuel couplé à la crise écologique, l'alimentation est devenue un enjeu clé d'action citoyenne. Parce que l'alimentation est à la fois une manière d'empouvoirement [ndlr mécanisme d’autonomisation des individus et des collectifs, ou empowerment] et de réappropriation du pouvoir, il est capital de l'intégrer dans le milieu de l'enseignement.
En quoi la Stratégie Good Food vous a-t-elle aidé à initier et développer ce projet ?
Le soutien de Good Food a été déterminant pour la concrétisation du projet. Cela nous a permis de bénéficier de l'expertise d'une équipe professionnelle en matière d'alimentation durable, de gestion de cuisine collective et de gestion de projet. Nous avons aussi pu bénéficier d’une mise en relation avec d’autres initiatives qui portent les mêmes valeurs et la même attention que nous à une alimentation durable.
Ce projet a-t-il immédiatement rencontré le succès escompté ? Comment cela s’explique-t-il ?
Initialement prévu pour courant 2020, le démarrage du projet a été retardé en raison des restrictions sanitaires en vigueur dans les écoles à cette époque. Par contre, une fois lancé, c’est un nombre important et continu d'étudiants qui s’est impliqué en suivant une série de formations. Cela s’explique très certainement par la dynamique collective, le fait que les étudiants gèrent le projet de A à Z, et le soutien de l’ensemble de l’école.
Peut-on dire que la cuisine « nourrit » la création artistique de vos étudiants ?
Dans notre école, la pratique artistique et le travail de recherche associé sont envisagés dans un cadre collectif, ce qui est tout à fait en lien avec l'esprit du projet Erg à table. Le fait que les étudiants soient invités à tenir compte de l'environnement, de ses contraintes et de ses dynamiques, tout y intégrant la gestion d'une cuisine collective favorisant une alimentation durable, s’inscrit donc pleinement dans le cadre pédagogique et artistique de l'Erg.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à des étudiants d’autres établissements qui souhaitent se lancer dans une telle aventure ?
Cherchez à contacter le plus de profils différents pour enrichir votre réflexion : des enseignants, des membres de l'administration et de l’équipe dirigeante. Et aussi en dehors de votre école ! Renseignez-vous sur les aides proposées par votre commune, les bourses, appels à projets... N'ayez pas peur de proposer des choses et de créer du dialogue. On pense qu'il est important que le projet soit porté collectivement, mais aussi soutenu institutionnellement. Notre expérience nous laisse penser qu'il est important de pouvoir, dès le départ, consacrer du temps à l’organisation de la coordination de l'ensemble de l'équipe participante, mais aussi à établir des partenariats avec des initiatives et producteurs, à l’échelle locale. Tout au long du projet, nous veillons à cette question de la transmission des savoirs. Ainsi, nous avons publié sur le site de l'Erg quelques brochures sur notre expérience et sur les formations que nous avons suivies.
Pour cette année, quel(le)s sont vos prochaines actions et objectifs ?
Nous travaillons actuellement sur plusieurs axes d'amélioration, comme réfléchir à la façon de s'organiser collectivement au sein d’Erg à table afin de lisser l'expérience des participants, mieux communiquer avec le reste de l'école, chercher à créer plus de lien avec d’autres cours et projets de l'école, implémenter une meilleure rigueur de formation des bases nécessaires, maintenir un nombre de repas raisonnable sur l'année, et aussi aller à la rencontre d'autres personnes et projets en phase avec notre réflexion sur l’alimentation.