Article rédigé par Green SURF, septembre 2022

C’est quoi tout ça ? encore du High Tech ?

L’hydroponie est la culture de plantes réalisée sur un substrat neutre et inerte (de type laine de roche) irrigué d’un courant de solution qui apporte les sels minéraux et nutriments essentiels à la plante. Elle existe depuis des siècles mais est devenue un mode de production intensive depuis la 2e moitié du XXème siècle et est couramment utilisée. Aujourd’hui, 75% de nos salades belges sont produites en hydroponie.

La bioponie est une forme d’hydroponie biologique car elle utilise des engrais biologiques, provenant de ressources organiques plutôt que chimiques. Ces ressources organiques sont multiples, il peut s’agir de déjections animales, de compost, de résidus de l’industrie agro-alimentaires, etc. Ces résidus organiques contiennent donc les nutriments essentiels à la plante mais sous une forme complexe, organique, qui ne peuvent pas être absorbée directement par les plantes. Ce sont alors les microorganismes, les bactéries, les champignons, etc. qui vont dégrader cette matière et la minéraliser, pour en libérer les nutriments sous forme minérale qui pourront alors être absorbés par la plante. Ce phénomène de dégradation et de minéralisation des résidus organiques se produit naturellement dans l’environnement, dans les sols, ce qu’on va tenter de reproduire avec la bioponie. La bioponie est donc plus complexe que l’hydroponie conventionnelle parce que les microorganismes y ont une importance et il y a un tout un travail de digestion de la matière, qui demande de trouver un moyen efficace pour dégrader et minéraliser les résidus organiques. Des recherches ont lieu actuellement à Gembloux, au C-RAU (Centre de Recherches en Agricultures Urbaines de l’ULiège), afin de valoriser des déchets organiques (tels que les fientes de poules) comme source de fertilisants pour la bioponie. L’objectif du C-RAU est de :

  • créer des procédés de création de solutions nutritives à partir de diverses matières organiques. A ce jour, les solutions nutritives étudiées sont à base de déjections animales et il est prévu de passer au recyclage de divers effluents agricoles, comme les reliquats de stations de biométhanisation. Ensuite, ces procédés pourront être adaptés pour les pays du Nord et du Sud.
  • simplifier les systèmes de production hydroponiques afin de les rendre plus accessibles, de diminuer la dépendance à l’électricité et de recycler divers matériaux locaux.

En France, l’Institut de Recherche national Astredhor réalise des expérimentations sur l’hydroponie en fertilisation organique afin de viser le « zéro intrant de synthèse ». L’enjeu est de transformer l’azote organique en azote minéral assimilable par les plantes.

L’aéroponie, enfin, est un système dans lequel les racines ne s’ancrent pas sur un substrat, les racines sont maintenues dans le vide, à l’intérieur d’une chambre d’aspersion. La solution nutritive est pulvérisée sur les racines à intervalles réguliers. Constamment exposées à l’oxygène et à l’humidité, ces dernières atteignent leur potentiel d’absorption maximal. La technique aéroponique se prête mieux en intérieure car les racines étant à l’air libre, elles sont beaucoup plus sensibles à des changements de température, qu’il faut dès lors maintenir à température constante pour un meilleur rendement.

Ces techniques ont plusieurs avantages :

  • Systèmes de production en recyclage total (aucun rejet vers le milieu extérieur, très faible consommation en eau et en engrais, apports d’eau et d’engrais optimisés au plus près des besoins de la plante)
  • Réalisable en low-tech (matériaux recyclés pour la fabrication des systèmes et valorisation de déchets organiques comme fertilisants)
  • Apporte un élément de réponse aux limitations en ressources en eau douce et à la dégradation des sols
  • Bioponie : contribution à l’atténuation des changements climatiques via un affranchissement des engrais chimiques et des pollutions générés par ceux-ci
  • Renforcement des capacités de production locales permettant d’améliorer la résilience alimentaire des populations impactées par les changements climatiques
  • Produire et distribuer dans la même ville permet une traçabilité totale tout au long du cycle de production
  • En intérieur, contrôle des paramètres de la culture (climat, fertilisation, etc.) et donc conditions optimales pour le développement de la plante : cela permet ainsi d’augmenter les rendements
  • En intérieur, protection contre les bioagresseurs sans recours à des intrants de synthèse.

Et à Bruxelles du coup ?

Ces techniques ont donc de nombreux atouts à partager, toutefois cela nécessite une réflexion et conception du projet en symbiose avec le bâti : si la structure demande une portance spécifique, elle est beaucoup plus facile et économique à intégrer dans un projet de construction neuve plutôt que de rénovation. Un système de récupération d’eau de pluie et une citerne à grande capacité sont nécessaires pour éviter de puiser dans les nappes phréatiques ou l’eau de ville. Une synergie avec une activité annexe dégageant de la chaleur et du CO2 pouvant être réinjectée dans des serres a plus de sens que de devoir fournir 100% de chaleur (voir projet Interreg GROOF). Dans le cadre d’activité professionnelle et à vocation nourricière, les espaces doivent être pensés avec des professionnels de l’hydroponie et pas uniquement des architectes (évitons, par exemple, les marches entre un lieu de production et le monte-charge, pensons aux largeurs des allées pouvant accueillir des euro-palettes, privilégions le pratique à l’esthétique, etc.).

Ces techniques de production sont donc particulièrement intéressantes dans des contextes urbains tels que Bruxelles où les zones de pleine terre sont réduites, les sols parfois pollués, une densification croissante, une abondance de déchets organiques, une chaine alimentaire mondiale de plus en plus fragilisée, mais également dans un contexte de vagues de chaleur et sécheresse (l’hydroponie et ses dérivés consomment en effet 80 à 90% moins d’eau que les techniques pleine terre).

De telles initiatives existent déjà à Bruxelles, ainsi que d’autres techniques visant à réutiliser de déchets organiques biologiques, tels que Permafungi, récupérant le marc de café bio de restaurateurs comme substrat pour sa culture de champignon.

Et on n’oubliera pas la magie de l’aquaponie !

L’aquaponie est une technique qui couple l’hydroponie à un bassin piscicole, récupérant les déjections des poissons comme nutriments pour les plantes. Il s’agit à nouveau de produire des végétaux mais également des protéines animales dans une logique d’économie circulaire et d’utilisation raisonnée de l’eau. Les villes sont des lieux de production intéressants mais peu adaptés à de l’élevage et du bétail, l’aquaponie permet ainsi d’introduire en ville dans des zones diverses (caves et toitures notamment) une production de protéines animales.

Mieux que la pleine terre ?

Evidemment, il faut maintenir le plus de terres non artificialisées possible en ville, notamment pour prévenir les îlots de chaleur et infiltrer l’eau dans le sol. Lorsqu’un terrain pleine terre est disponible, il faut privilégier des techniques de production alimentaire pleine terre ou simplement des aménagements favorisant l’infiltration de l’eau et préservant la biodiversité.

Toutefois, ces zones sont de plus en plus rares et il reste important de pouvoir produire une partie de son alimentation en ville et à proximité. Il existe aujourd’hui de nombreux espaces inusités : friches, parkings, toitures par exemple. L’hydroponie et ses dérivés ont l’avantage d’être des techniques de production plus légères que la culture en bac/terre et donc plus propice à s’installer en hors sol car demandant une portance moins élevée (400kg/m² en moyenne). Pensons aux grandes toitures de hangars et zones logistiques ou zoning semi-industriels, aux toitures de supermarchés, qui ont parfois plusieurs milliers de m² vides alors qu’il pourrait y pousser l’alimentation du quartier. Ces surfaces permettraient d’installer une activité supplémentaire et nécessaire à nos villes qui se densifient et de créer des emplois non délocalisables.

Et ça se vend en Europe ?

Aujourd’hui, ces techniques sont répandues dans le monde. En Europe, ce sont les Pays-Bas qui l’utilisent le plus (sur environ 4600 hectares), suivis de l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique. En ce qui concerne l’espèce la plus cultivée en hydroponie, il s’agit de la tomate, suivie de la fraise, du concombre, du poivron et de la laitue (Gazeau, 2004). En Belgique, 75% des salades vendues en supermarché sont produites en hydroponie, mais malheureusement pas en bioponie (https://dailyscience.be/12/11/2018/a-gembloux-les-legumes-ont-les-pieds-dans-leau/).

Hydroponie va avec agro-écologie ?

Bruxelles s’est dotée d’une stratégie alimentaire qui vient d’être revue, Good Food 2.0, et qui pour atteindre un système alimentaire résilient suit la théorie et la pratique de l’agroécologie. Ce mouvement inclusif vise des pratiques créatives dans lesquelles une coopération optimale avec la nature est centrale. Le résultat est un modèle agricole innovant, dans lequel l’Homme et la Nature se renforcent mutuellement à partir de leurs liens étroits. Au sein d’un contexte urbain, l’agroécologie invite à repenser le rapport entre les producteur·rice·s, les citadin·e·s et leur contexte environnemental et social, et à concilier l’activité humaine et la préservation des écosystèmes naturels. Elle peut être définie par un certain nombre de principes qui guident un modèle économique écologique et résilient et mettent en avant les questions de souveraineté et de sécurité alimentaire, et d’autonomie des agricultrices et agriculteurs. Ceux-ci sont replacés au centre des systèmes alimentaires, non seulement comme fournisseurs, mais aussi comme décideurs de ces nouveaux systèmes alimentaires.

La bioponie permettra de placer l’hydroponie dans ce cadre agroécologique. En effet, un des enjeux est de pouvoir se détacher des engrais de synthèse pour se tourner vers des nutriments organiques, à base de déchets et matières organiques, justement abondantes en ville.

Enjeu climatique

Outre cet enjeu et l’importance d’une alimentation de proximité, il est important de se tourner vers une alimentation de saison. Des tomates cultivées en Belgique en hiver, sont certes locales, mais leur empreinte carbone reste élevée : pour les produire, les serres doivent être chauffées et illuminées par LEDs, deux éléments énergivores. Les ressources énergétiques nécessaires au chauffage et à l’éclairage des serres peuvent d’ailleurs représenter jusqu’à 40 % des coûts de production. En cette période de crise climatique et énergétique, impactant l’inflation actuelle, ces produits sont voués à renforcer la crise et à augmenter drastiquement leurs prix.

Finalement, en tant que consommateur, nous avons un grand rôle à jouer : acheter et manger mieux c’est renvoyer un signal, c’est augmenter la demande de produits en accord avec les principes agroécologiques et ainsi soutenir les agriculteurs dans leur transition.

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Date de dernière modification: 08/03/2024